Cela faisait quelques temps que je n’avais plus testé une nouvelle réalisation de chez Vivid Audio. Pourtant, j’ai une bonne connaissance de la marque. On peut même dire que je suis un vrai aficionado puisque j’ai possédé le haut de gamme de la série Oval, aujourd’hui arrêtée et remplacée par la gamme Kaya, les fameuses K1, puis le sommet des Giya, les G1, et enfin le modèle spécial des G1 Spirit, qui continue à faire mon bonheur au quotidien. J’ai visité l’usine, rencontré plusieurs fois les associés Philippe Guttentag et Laurence Dickie, et même l’instigateur de cette association, l’ancien patron de B&W, Robert Trunz. Autant dire que mon attachement à la marque ne remplit sans doute pas les critères d’une évaluation totalement objective. Et puis comme c’est la mode de déclarer ses conflits d’intérêts, sachez que je me suis payé à chaque fois toutes les enceintes Vivid que j’ai possédées, que je ne suis pas associé au capital, que je ne reçois aucune rétro-commission ou encore des recettes publicitaires. Alors, oui, ces enceintes sont chères. Certains se font plaisir à collectionner des bolides de chez Porsche ou de chez Ferrari. En ce qui me concerne, les Vivid Audio sont mes petits bolides de sport, un sport certes moins risqué mais tout autant vecteur de sensations fortes. Chacun après tout prend du plaisir là où il veut bien le trouver. Voilà pour le préambule…
La série Kaya conçue par Laurence Dickie permet de proposer une enceinte à prix plus raisonnable et avec une apparence plus passe-partout que celle des Giyas. La Kaya 90 est le vaisseau amiral de cette série. Elle est appelée ainsi en référence à son volume interne de 90 litres. On s’aperçoit immédiatement que cette enceinte exploite, au même titre que les modèles inférieurs, pas mal de concepts tirés de la gamme Giya. Ainsi, les Kaya 90 orent le même système de dissipation des résonances dans les bas médiums, à partir d’un profil plus mince et plus discret qui permettra peut-être d’attirer une autre clientèle. La Kaya 90 n’en reste pas moins une enceinte aux lignes assez originales, et dont la forme galbée capte la lumière de superbe façon. Ce sont de vraies sculptures d’art moderne, tout en restant, il est vrai, moins exubérantes que les modèles de la série Giya.
La Kaya 90 est, malgré ses dimensions modestes, une colonne trois voies embarquant pas moins de six haut-parleurs. C’est donc une enceinte capable de s’adapter dans des salles de dimensions moyennes ou grandes. Son format serait presque “passe-partout” si on fait abstraction du look quand même singulier. Pour faire un tour d’horizon de la série Kaya, on trouve deux autres colonnes : une trois voies (Kaya 45) et une deux voies très fine (Kaya 25). La gamme compte également une bibliothèque deux voies, la Kaya S12, ainsi qu’une enceinte centrale home cinéma, la Kaya C35. Pour revenir au sujet qui nous occupe, les différences essentielles existant entre la Kaya 90 et ses grandes sœurs Giya est la conception simplifiée de son ébénisterie et de sa structure interne et l’emploi de haut-parleurs de taille inférieure pour le médium grave. La Kaya 90 n’est pas dépourvue du fameux pavillon caractéristique des Giyas. Il est simplement intégré à l’intérieur du coffret et donc invisible une fois l’enceinte terminée. La Kaya bénéficiera donc des mêmes avantages en termes d’absorption des résonances internes que les Giyas. La différence est qu’il est replié sur lui-même, se courbant à l’intérieur de l’enceinte.
Je m’aperçois d’ailleurs trop tard que «simplifiée» n’est pas à proprement parler le terme exact pour décrire le coffret des Kayas. Je dirais finalement « plus économique » et aussi « plus consensuel ». En effet, les ébénisteries des Giyas sont réalisées à partir d’un sandwich de balsa composite infusé avec de la résine sous vide. Pour les Kayas, la même recette est appliquée, sauf que le balsa est remplacé par un sandwich composite de mousse EVA. La mousse Ethylène Vinyl Acétate est une mousse à haute densité offrant une résistance remarquable, et plus facile à approvisionner et travailler que le balsa. Les deux matériaux offrent un rapport rigidité / masse exceptionnel. Le fait d’avoir une très faible masse permet de réduire drastiquement les résonances parasites. C’est vraiment le crédo de Laurence Dickie. La coque de balsa utilisée dans les Giyas prend beaucoup plus de temps à réaliser que la structure en mousse, mais donne globalement un panneau plus rigide. Il y a aussi une pénurie de balsa aujourd’hui (qui fait ainsi militer l’entreprise en faveur de l’EVA) car il est utilisé pour la fabrication de pales d’éoliennes, marché en plein boom dans notre ère de la chasse au carbone.
À l’instar des voitures de formule 1, les enceintes de Vivid Audio sont donc conçues suivant des critères très stricts où la masse est l’ennemi, et la rigidité primordiale. L’aérodynamique, et donc surtout les courbes des enceintes Vivid Audio servent également à la fonction puisque lorsqu’on courbe un panneau sandwich composite, sa rigidité augmente du carré de son rayon. On est assez loin des principes d’inertie recherchés chez Magico, c’est très clair… chacun ses méthodes et son cheminement pour arriver à un résultat parfois assez différent. Tous les chemins mènent à Rome mais la capitale italienne montre différents visages, c’est certain… La spécificité de la Vivid Audio Kaya 90 est d’utiliser quatre haut-parleurs de grave à cône en alliage de 125 mm de diamètre, un peu à l’instar des Giyas (mais celles-ci n’utilisent qu’un seul boomer latéral par côté au lieu de deux dans le cas présent), un seul haut-parleur médium à cône en alliage de 100 mm de diamètre et un tweeter à dôme en alliage de 26 mm. Comme sur les autres générations d’enceintes sud-africaines, les transducteurs de haut médium et d’aigu sont «chargés» à l’arrière par des tubes coniques, et les deux ports bass-reflex sont également accouplés à des tubes coniques de façon exponentielle. Le but de ces tubes est toujours le même : celui d’éliminer les résonances et les réflexions arrières indésirables. Le tweeter est toujours le D26, utilisé sur la gamme Giya avec une fréquence de coupure à 3000 Hz, ce qui le fait descendre plus bas de 500 Hz par rapport à la série Giya et mes propres G1 Spirit. On remarque la jolie amorce de pavillon permettant une meilleure dispersion et s’intégrant à la perfection aux lignes fluides de l’enceinte.
La nouveauté vient davantage du cône de médium C100se de 10 cm en alliage d’aluminium et magnésium qui exploite la bande de fréquences 300 – 3000 Hz, faisant donc le job des deux haut-parleurs de médium des Giyas D50 et C125s. Ce haut-parleur était déjà utilisé pour le bas médium des petites G4. Faut-il revenir sur la spécificité des haut-parleurs Vivid fabriqués en interne ? Rappelons qu’ils utilisent des aimants néodyme en position radiale, ce qui permet de focaliser le champ magnétique plus intensément dans l’entrefer et de laisser s’évacuer plus efficacement l’onde arrière dans le tube d’amortissement exponentiel. Les quatre haut-parleurs de graves sont assemblés de façon totalement symétrique par paires sur chaque côté de l’enceinte. Les quatre woofers sont filtrés à l’identique avec une coupure à 300 Hz. L’enceinte est donnée pour délivrer une bande passante allant de 35 Hz à 25 kHz à +/- 6 dB avec une sensibilité de 90 dB et une impédance nominale de 4 Ohms. Comme c’était déjà le cas sur les modèles Giya, chaque woofer est positionné dos à dos de chaque côté du cabinet, avec les aimants couplés ensemble. Les forces dans les aimants sont ainsi exactement annulées, de sorte qu’aucun mouvement n’est transmis à la caisse et toute résonance est de fait éliminée.
On retrouve immédiatement les caractéristiques du son Vivid Audio à l’écoute des Kaya 90. C’est un son particulièrement dynamique, rapide et doux à la fois, avec une image large et profonde. Les Vivid G1 Spirit ne sont vraiment pas dures à alimenter et des amplificateurs de faible puissance suffisent amplement du moment qu’ils délivrent suffisamment de courant pour faire bouger tous ces haut-parleurs après avoir passé les fourches caudines du filtre répartiteur… Il en va quasiment de même avec les Kaya 90. Mon couple d’amplificateurs single end de 845 de chez Coincident Speaker Technology les a pilotées très aisément. Le Kinki Studio EX-M7 et le Lumin Amp ont également procuré d’excellents résultats, avec davantage de fermeté dans le grave que mes amplificateurs à tubes. Et cela a été une vraie promenade de santé pour mon couple de SPEC RPA-W3 SE de les pousser dans leur derniers retranchements, avec encore plus d’énergie dans le grave… Par rapport aux G1 Spirit, les Kaya 90 cèdent le pas dans l’extrême grave et en matière de richesse tonale dans le médium et bas médium. Rien de bien surprenant puisque les surfaces émissives ne sont pas comparables entre ces deux enceintes. C’est d’ailleurs exactement ce qui m’avait poussé il y a quelques années à sauter le pas des Oval K1 aux Giya G1, après un bref interlude Magnepan 20.7. Je souhaitais retrouver une bonne partie de la variété de timbres que j’avais tant appréciée sur les enceintes nord-américaines, et cela passait forcément par une augmentation des surfaces émissives. Autre point où les Kaya 90 lâchent du lest, le slam incroyable des G1 Spirit. Mais quelle enceinte peut vraiment rivaliser avec les grosses Vivid à part peut-être le très haut de gamme de chez Wilson Audio ? Pour le reste, j’avoue que les Kaya 90 restituent une grosse partie du potentiel des Spirit. J’ai essayé différents placements dans ma salle d’écoute et je suis assez vite revenu sur le marquage de mes G1 Spirit. C’est rassurant puisque c’est le positionnement idéal pour mes grosses Vivid et également pour les Leedh E2 Glass. Assez pincées, pour que les émissions directes des haut-parleurs frontaux se croisent avant d’arriver à la position d’écoute, et plutôt espacées : c’est vraiment le positionnement qui permet d’obtenir une image stéréo très large et profonde, tout en conservant cette aptitude très particulière des enceintes Vivid Audio à focaliser un son en trois dimensions de façon très précise. Mais ces Kaya 90 ne se limitent pas à la seule qualité de leur scène sonore. On retrouve en effet la fluidité, l’absence de compression et de distorsion audible. La fluidité associée à l’extrême dynamique, c’est ce qui contribue à renforcer la sensation de naturel à l’écoute des enceintes Vivid Audio, et ces Kaya 90 ne dérogent pas à la règle. Si on rajoute à cela des haut-parleurs particulièrement exempts de coloration, ou de signature sonore, alors on comprend pourquoi ces écoutes se révèlent si addictives. Le corollaire de la transparence de ces enceintes est néanmoins qu’elles ne viendront pas rattraper ou masquer ce qui ne marche pas dans un système ou une salle d’écoute. Les Kaya 90 sont pour le coup assez exigeantes vis-à-vis des maillons qui véhiculent le signal en amont ainsi que de la pièce et de leur positionnement. Leur positionnement est d’autant plus sensible que mes Giyas me semblent en comparaison un peu moins directives. Je pense que cela résulte de la typologie du haut-parleur de haut-médium employée (dôme pour les Giyas et cône pour les Kayas). Mais les Kayas renvoient une image stéréo très structurée et absolument progressive en profondeur et en largeur. La générosité de l’amplificateur de puissance SPEC RPA-W3 EX, ainsi que sa propension à recréer un très bel espace tridimensionnel et profond, en fait un partenaire quasi parfait pour la Kaya 90. Même avec une puissance relativement modeste de 100 W par canal sous 4 Ohms, il en garde énormément sous le coude pour exploiter le potentiel dynamique des Kayas.
Sur l’album “Noir Lac” de David Neeman, paru dernièrement chez Klarthe, la précision de la polyphonie est saisissante. La voix de la chanteuse Krystle Warren est incroyablement charnelle, le placement des instruments, du chœur dans l’espace est particulièrement réussi. L’image s’épanouit dans la pièce de façon très naturelle. Cela me rappelle un peu ce que j’avais pu ressentir en testant le gros système Bel Canto Black (ensemble ACS2 / MPS1) et qui m’avait marqué par la nature holographique et en même temps saturée de son image stéréo. On retrouve la magie d’un grand système Kondo sans en ressentir pour autant le côté artificiel, une fois la puissance de l’illusion démystifiée. À l’écoute du concerto pour violoncelle de Camille Saint-Saëns interprété par Damien Ventula (toujours chez Klarthe records), on remarque tout de suite le réalisme de la reproduction, donnant l’impression d’être dans la salle de concert. La variété et la tessiture des instruments avec l’amplificateur nippon classe D est de premier ordre, voire supérieure à ce que je pourrais obtenir avec des électroniques plus onéreuses. Ce que les Kayas font à la quasi perfection, c’est de reproduire l’énergie, l’intensité du frotté de l’archet, ou le pincement d’une corde de guitare. C’est assez compliqué à reproduire de façon constante, sauf à se faire aider de temps en temps par une prise de son captée d’un peu trop près. Mais avec la Kaya 90, à tous les coups on gagne. Le violoncelle de Damien Ventula revêt une intensité assez rare avec les enceintes sud-africaines, ainsi que l’orchestre de chambre dans sa globalité. Un concerto comme celui de Thierry Huillet développe ainsi une dramaturgie et un côté viscéral tout à fait enivrant. C’est ce que demande l’œuvre et la Kaya 90 le sert à la perfection. Parfois, cela ne tient pas à grand-chose de passer de l’ennui à l’envoûtement. Soyez assuré que les Vivid ne vous laisseront pas sur le bas côté de la route qui mène au Grand Frisson…
En allant sur un registre plus sauvage avec la BO de « A star is born », les petites Vivid démontrent leur polyvalence à l’instar de toutes les enceintes de la marque. Dès les premières mesures de « Black eyes », ça cogne fort et on adhère immédiatement. Il n’y a pas la respiration des G1 Spirit ni des G1 originales. Le résultat est plus similaire à celui délivré par mes anciennes Oval K1. Sans doute il n’y a pas toute la palette de nuances dans le grave et le bas médium dont sont capables mes Giyas. Mais lorsque les morceaux chantés entrent en scène, alors les Kayas semblent être davantage dans leur domaine de prédilection. Les voix sont incarnées, très présentes, peut-être même plus en comparaison que sur mes G1 Spirit. Cela va bien évidemment faire cliché mais les Kayas donnent l’impression d’être plus à l’aise sur des petites formations alors que les grosses G1 Spirit sont d’une stabilité exemplaire sur de grandes masses symphoniques. Après tout, on ne conçoit pas de grosses enceintes pour faire exactement la même chose que des colonnes de dimension plus modeste. Sur « Alibi », on ne retrouve par exemple pas toute l’ambiance du concert, ni les micro-détails que je retrouve habituellement sur les Spirit. Néanmoins, il est pour autant difficile de prendre ces enceintes en défaut car le résultat reste très propre en toutes circonstances et elles distillent l’essentiel des ingrédients qui servent à concocter mon plaisir d’écoute.
Pour avoir le cœur net à propos des aptitudes des Kayas 90 à tenir des charges orchestrales contraignantes, j’ai choisi d’aller retrouver mon ami Berlioz et sa Symphonie Fantastique interprétée par le tout aussi fantasque chef vénézuélien Gustavo Dudamel. Si avec un seul bloc d’amplification stéréo SPEC, j’ai pu ressentir un peu de compression dynamique sur les Kaya, autant ce sentiment s’est complètement estompé en utilisant les blocs monophoniques Coincident Speaker Technology 845 Turbo. Je pense que le rôle des transformateurs de sortie et la puissance crête de 100 W des amplificateurs canadiens compensent largement le déficit de puissance nominale sous 8 Ohms (28 vs 50 pour les japonais). Le final du Songe d’une nuit de Sabbat avec les amplificateurs canadiens s’est en effet révélée d’une stabilité exemplaire et j’ai vraiment été incapable de distinguer une quelconque forme de distorsion. Les Kayas peuvent donc encaisser de très gros contrastes dynamiques sans broncher, ce qui est au final assez peu surprenant pour une paire d’enceintes Vivid Audio, mais il était quand même intéressant de savoir jusqu’où pouvaient aller cet assemblage de haut-parleurs, forcément un peu moins ambitieux que celui monté sur les G1 Spirit.
Sans aller vers plus de conventionnel, disons que les Kayas, et notamment leur vaisseau amiral Kaya 90, représentent une proposition plus consensuelle que la gamme Giya, et ce, sans sacrifier à l’esprit de la marque puisque qu’on y retrouve indéniablement les mêmes qualités premières. En ce qui me concerne, je pourrais donc vivre sans aucun souci avec cette paire d’enceintes qui, si elles vont moins loin que mes G1 Spirit, ont l’avantage également de moins exciter le local d’écoute, et donc de pouvoir être utilisées dans des pièces de dimension plus modeste sans pour autant être limitatives dans des salles plus grandes. On pourra trouver que le ticket d’entrée chez Vivid reste élevé, c’est un fait indéniable. Mais ce prix permet d’accéder à quelque chose d’assez rare malheureusement parmi les nombreuses enceintes disponibles sur le marché du haut de gamme : l’universalité et la polyvalence. Beaucoup d’enceintes délivrent des résultats confinant au magique sur certains enregistrements, et puis paraissent bien plus ternes ou limitées sur d’autres. C’est ce qui fait que certains audiophiles écoutent toujours le même type de musique ou un nombre de disques restreint. La Kaya 90 distille inlassablement le plaisir d’une écoute franche, vivante, douce avec une scène sonore tridimensionnelle, quel que soit le style de musique concerné. C’est là leur grande vertu. JC
Copyright 2021|2025 - Tous droits réservés