J’avais fait un appel du pied lors de mon précédent test des câbles de modulation SQM du néerlandais Grimm Audio, en manifestant mon intérêt pour leur lecteur MU1. J’avais apprécié le design très particulier de l’objet, et puis j’avoue avoir toujours eu beaucoup d’admiration pour cette société plutôt orientée vers le monde professionnel et peu encline à renouveler sa gamme ou développer de nouveaux produits par stricte nécessité commerciale. La société Grimm Audio n’est d’ailleurs guère plus disposée à se fondre dans la masse du conformisme ambiant et ses produits sont peu nombreux mais possèdent une personnalité indéniable. J’ai donc accueilli la proposition de l’importateur français et d’Eelco Grimm avec enthousiasme lorsqu’ils m’ont proposé de me prêter un MU1 pour l’essayer chez moi.
A l’instar du Mola Mola Tambaqui, le serveur MU1 de Grimm est une machine sans compromis. Mola Mola par l’intermédiaire de son ancien directeur technique, Bruno Putzeys, avait annoncé que son DAC pouvait se passer de sorties asymétriques et de toute autre solution de lecture réseau autre que Roon, leader du marché. Et Grimm Audio se veut tout aussi exclusif : la sortie numérique ne se fait que via le standard professionnel AES EBU et la lecture dématérialisée que via Roon. Contrairement aux Chinois qui ont l’habitude d’offrir le maximum d’options dans leurs électroniques, quitte à ce que certains aspects soient bâclés, les Néerlandais semblent vouloir se concentrer sur ce qui marche le mieux et rien d’autre. Tant pis si le client a d’autres attentes. Après tout, il y a suffisamment d’offres au sein de ce microcosme des électroniques haute fidélité pour que chacun trouve chaussure à son pied… Ce banc d’essai fait d’ailleurs parfaitement écho à l’éditorial d’Audiophile Magazine puisqu’il représente l’occasion de tester un serveur audio haut de gamme embarquant un ordinateur NUC dédié et de constater si cet investissement est capable d’améliorer sensiblement la donne par rapport à une formule lecteur réseau et NAS plus conventionnelle. Il convient toutefois d’apporter la précision que mon NAS Synology 918+ est équipé de 8 GB de RAM, de mémoire cache SSD et d’une alimentation linéaire Kenneth Lau spécialement conçue pour ce modèle Synology. L’environnement est par ailleurs plutôt soigné, avec un tableau électrique dédié, un routeur indépendant du modem internet, et d’alimentations linéaires spécifiques remplaçant celles standard à découpage pour le modem, le routeur et les switchs. On peut donc valablement espérer que cette installation soit capable de rivaliser avec un serveur audio haut de gamme…
Le MU1 est ainsi un serveur audio dédié hébergeant à la fois le Roon Core et le Roon End Point, l’horloge propriétaire Grimm ainsi qu’un FPGA maison permettant de sur-échantillonner ou sous-échantillonner dans un format PCM 24 bit 176 kHz / 192 kHz. On ne peut pas strictement comparer le MU1 avec des solutions conçues sur la base d’un ordinateur personnel, bien que complètement repensées de A à Z pour améliorer les performances audio de l’ordinateur, à l’instar des produits proposés par un autre constructeur hollandais fraîchement débarqué dans le paysage des sources audio haut de gamme (Taiko Audio pour ne pas le nommer), ou par le français Audionec, déjà installé depuis de nombreuses années sur ce segment des serveurs audio haut de gamme. Il est sans doute plus facile de faire le parallèle avec un autre hollandais, Pink Faun, et son serveur 2.16 x. A croire que la Hollande est vraiment aujourd’hui le pays de la source numérique ! Qui eût cru que Philips, via les générations d’ingénieurs qui y ont fait leurs premières armes, aurait encore de nos jours une telle influence sur l’audio numérique haut de gamme ? Malheureusement, nous n’avons pas eu l’opportunité de tester ces produits jusqu’à présent (à part la première génération de serveur Audionec mais cette expérience remonte à environ dix ans, autant dire un gouffre temporel pour le monde de l’informatique), et la note chez les concurrents directs et actuels du Grimm MU1 est encore plus salée que les 10 K€ requis pour l’acquisition de cet appareil. Il faut avoir l’envie et les moyens de dépenser autant pour une source numérique dépourvue de convertisseur N/A…
Le principal intérêt du MU1 réside d’après moi dans la conception d’un écosystème particulièrement sophistiqué en comparaison de ce que peut proposer la concurrence, bien souvent amenée à proposer un assemblage, certes très onéreux et sans doute extrêmement qualitatif, alors que Grimm Audio part de l’intégration d’une solution assez banale à base de NUC, mais dans un environnement réalisé à partir de solutions propriétaires haut de gamme, et optimisées autour de la solution logicielle retenue, celle de Roon. L’écosystème du MU1 s’étend d’ailleurs au-delà du serveur de musique en lui-même puisqu’il permet de se connecter directement aux enceintes du constructeur, les fameuses LS1 via une sortie multicanale totalisant 6 canaux. C’est davantage en fait comme un hub qu’il faut considérer le MU1 et comme une phase de prétraitement numérique permettant de soulager le DAC de calculs volumineux et tout en conservant une synchronisation très précise. Pour comprendre de quoi est capable le MU1, il s’agit de détailler l’ensemble des connectiques présentes sur le panneau arrière. Allant de gauche à droite, le MU1 propose deux sorties numériques AES-EBU, une est fixe, l’autre est variable : comprenez que le volume est ajustable via le disque rotatif doré surplombant l’appareil (sans doute un des plus jolis potards conçus à ce jour sur un appareil audio), ou bien encore directement via l’application Roon. Si on souhaite utiliser le contrôle de volume numérique du MU1 sans passer par un étage de préamplification intermédiaire. Dans une prochaine version de firmware, les deux sorties AES-EBU devraient fonctionner par défaut avec un volume variable (on pourra dans les réglages rebasculer en sortie fixe au besoin). Le MU1 propose une troisième sortie numérique, mais propriétaire cette fois-ci. Il s’agit de celle exclusivement destinée aux enceintes LS1, à ne surtout pas confondre avec une entrée Ethernet. Ces trois sorties numériques stéréo pourront également dans le cadre d’une évolution prochaine servir un système multicanal 6 canaux. N’ayant pas pu tester ce système avec les LS1, je me suis donc limité à tester les deux sorties AES-EBU. L’intérêt du choix assez exclusif de l’AES3 est de pouvoir véhiculer le signal d’horloge au DAC externe alors que l’USB ne le permet pas. En théorie, l’AES-EBU est capable de transférer un flux DSD 64 mais dans la configuration actuelle du MU1, la musique est exclusivement lue en PCM, et donc sous-échantillonnée de 64 fois à 4 fois la fréquence red book dans une résolution 24 bit (idem pour les flux PCM supérieurs à 192 kHz). Eelco Grimm m’a confié qu’il pensait pouvoir proposer un flux natif DSD 64 dans une évolution ultérieure du firmware qui devrait sortir très prochainement. L’activation du DoP désactivera en revanche la gestion du volume ainsi que pour le PCM. L’intérêt de ce choix assez restrictif de l’AES-EBU est de pouvoir bénéficier pleinement des capacités de l’horloge interne du MU1, réputée supérieure à la grande majorité des horloges embarquées dans les convertisseurs N/A, en abaissant la gigue à des niveaux extrêmement bas (0.6 ps RMS au-dessus de 10 Hz).
En continuant l’inspection du panneau arrière, on trouve également pas moins de 6 entrées numériques, ce qui est plutôt bien pour un appareil qui est capable de fonctionner de façon autonome grâce à son stockage interne. Dans l’ordre, et toujours de la gauche vers la droite, le MU1 offre une entrée AES-EBU, deux entrées SPDIF (cinch et Toslink), une entrée réseau Ethernet, ainsi que deux ports USB. Les trois premières offrent la possibilité de booster les performances de vos autres transports numériques via la synchronisation de l’horloge Grimm et le FPGA. J’ai pu essayer de voir ce que cela pouvait donner avec mon lecteur Esoteric K-03. L’entrée Ethernet est nécessaire pour transférer de la musique vers le stockage interne (c’est d’ailleurs déconcertant tellement c’est simple) et d’utiliser d’autres bibliothèques musicales externes connectées au réseau (NAS) ainsi que l’accès aux services de streaming en ligne. J’ai échangé avec Eelco sur les bénéfices sonores de Roon, pour lequel j’ai toujours trouvé une coloration persistante dans le bas médium (constat pas forcément partagé), mais nous nous sommes complètement rejoints sur le fait que l’expérience utilisateur de Roon est sans conteste la meilleure du marché, et que le son de Roon est globalement transparent, plaisant et consensuel. Le fait d’ouvrir le MU1 à d’autres serveurs permettra néanmoins de gagner en versatilité et de convaincre d’autres utilisateurs allergiques à Roon, que ce soit pour des raisons financières ou de qualité sonore… Grimm Audio continuera à collaborer de façon très étroite avec Roon afin d’améliorer continuellement les performances de leur serveur. Les deux ports USB permettent de connecter un autre lecteur ou un disque de stockage externe. C’est quasi nécessaire car pour l’instant l’option de stockage interne SSD ne dépasse pas les 4TB, ce qui peut être un peu court pour certains utilisateurs, dont je fais partie, qui vont bien au-delà avec une grosse bibliothèque DSD. Sur le panneau arrière, on trouve également une entrée FM de type BNC 75 Ohms, ce qui semble un peu anachronique aujourd’hui et qui devrait faire l’objet de développements ultérieurs chez Grimm Audio. Cette antenne FM est pour l’instant gérée par une puce Catena, grand spécialiste hollandais des radio fréquences, et devrait permettre d’activer une vraie fonction de tuner FM lors de prochaines mises à jour du firmware. Enfin à l’extrême droite, on trouve une entrée jack pour un futur récepteur infrarouge, le bouton marche / arrêt et la prise IEC.
Sous le capot, on se rend aisément compte que l’architecture du Grimm MU1 est complètement modulaire, et qu’il reste de la place pour intégrer de possibles enrichissements, et notamment une carte de conversion N/A. La partie informatique est basée sur une carte Intel NUC (Next Unit of Computing) i3-8109U 3GHz dont les caractéristiques sont suffisantes pour faire tourner le Roon Core sans pour autant être démesurées. C’est d’ailleurs la seule partie électronique qui ne soit pas manufacturée directement dans les ateliers de Grimm. Grimm a opté pour une alimentation à découpage maison, particulièrement sophistiquée. C’est de mon expérience personnelle le nec plus ultra, et force est de constater qu’elle est vraiment très silencieuse. Pas de données communiquées par le constructeur à cet égard, à part un rendement global de 98%, ce qui est très honorable d’un point de vue environnemental, et qui permet donc au système de ne pas dégager trop de chaleur, et se dispenser d’un ventilateur jamais indolore en termes de bruit. Comme déjà précisé plus haut, rappelons que l’architecture du Grimm MU1 vise essentiellement à asservir la fréquence d’horloge entrante, réduire la gigue et envoyer le même signal d’horloge au DAC.
Bien que le choix entre AES3 et AES3 laisserait à penser que le MU1 est un appareil peu versatile et dont on fera le tour rapidement, mon expérience de quelques semaines passées avec le lecteur Grimm a démontré qu’il regorgeait de possibilités bien plus étendues que ce que j’imaginais, et que l’évaluation de son potentiel était par conséquent bien plus longue qu’escomptée. J’ai donc choisi de distinguer clairement les différentes confrontations que j’ai organisées avec cet appareil durant ce banc d’essai, quitte à être moins dans le descriptif d’émotions musicales que j’ai ressenties, ou dans la recherche d’une identité sonore caractéristique et globale. Il m’a semblé en effet plus utile de mettre en lumière les différents résultats que j’ai pu obtenir dans différentes configurations, quitte à ne pas restituer une fiche signalétique type de cet appareil.
Le MU1 est avant tout un fantastique serveur audio, ainsi qu’un hub très performant. Exploité comme serveur, le MU1 est le meilleur lecteur que j’ai pu écouter à ce jour, et ce quel que soit le format audio retenu. Car même avec une conversion systématique du DSD en PCM, le niveau atteint avec Roon va au-delà de ce que j’aurais pu attendre de ce type d’exercice, et a clairement surpassé ce que je peux obtenir par ailleurs en DSD natif avec les lecteurs Lumin et Minimserver. Je ne pensais sincèrement pas que l’écart de performance serait aussi net par rapport à la lecture réseau et j’ai été bluffé également par la plus-value apportée à mon lecteur CD sur sa sortie SPDIF. Il n’en reste pas moins que certaines questions restent encore en suspens, à savoir : – Quel sera le résultat d’écoute en conservant le format DSD 64 en sortie du MU1 ? – Quel sera le résultat de l’intégration du DAC dans le futur MU2 ? – Quelle sera la performance de la future fonction tuner ? – Quel type de stockage externe pourrait permettre d’augmenter la capacité du stockage sans dégrader le résultat sonore, et sinon quelles sont les pistes à court terme d’augmentation de la capacité du SSD interne ? Dans l’attente de toutes ces réponses, il ne faut certainement pas perdre de vue les immenses qualités de cet appareil qui surclasse tout ce que j’ai pu entendre jusqu’à présent en performance pure. Oui, cela fait beaucoup de questions, mais au regard de l’originalité de la solution, de sa versatilité et de la performance audio dans l’absolu, il est difficile de ne pas lui attribuer un grand frisson. C’est en tout cas un appareil que j’inscris en haut de la liste des améliorations possibles de mon système personnel en matière de sources dématérialisées. Il est clair que j’aimerais pouvoir réécouter cet appareil dans ses toutes prochaines évolutions. Un autre appel du pied à la société Grimm Audio ? A suivre !
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